Genèse de la mondialisation

Cette intervention était un peu comme un « retour aux sources », puisque Serge a été l’un des fondateurs, en 1999, de l’Institut de la Recherche en Management », parrainé par le CRC. Le groupe Création de Valeur Globale, qui y avait vu le jour, a ensuite pris son autonomie en 2001, sous le nom « Entreprise & Avenir ».


EXPOSE DE SERGE AIRAUDI


Serge commence par faire la distinction entre globalisation (considérée comme étant de nature financière et technologique) et mondialisation (décrite comme la formation d’un marché unique ou méta-marché).

Il explique qu’il abordera trois grands sujets qui correspondent, grosso modo, aux trois principales parties de son livre :

  1. Les éléments-clés de la globalisation
  2. L’émergence des modèles épistémologiques
  3. L’universalisation de la conscience

Serge précise que ces trois sujets ne sont pas strictement corrélés.

 

 

1 - Les éléments-clés de la globalisation


Le capitalisme, contrairement à ce que l’on en dit, n’est pas devenu financier, il l’a toujours été par essence.

Le capitalisme s’est en fait dédoublé. Il est formé désormais d’une économie réelle dont a émergé une économie virtuelle – une méta-économie autonome, dans laquelle le produit est l’argent. L’argent n’a pas en lui-même de valeur d’usage ; il n’a qu’une valeur d’échange.

C’est différent de ce que l’on trouve dans l’économie réelle où un produit a, à la fois, une valeur d’usage et une valeur d’échange.


Caractère virtuel

L’argent, qui n’a donc pas de valeur d’usage, n’a de ce fait aucune caractéristique culturelle. Il n’a pas de matérialité, ni de traçabilité. L’argent est donc « passe partout » par nature. D’où la globalisation et la puissance énorme de ce méta-marché.

Ajouté à cela, la « fabrication » de l’argent s’effectue grâce à des modèles mathématiques extrêmement performants et utilisant des technologies abstraites, elles-mêmes globalisées.

Le caractère virtuel de l’argent lui permet de circuler et de se démultiplier à très grande vitesse, n’ayant pas besoin de « passer par » la réalité. Le monde réel est court-circuité.

Cette capacité de vitesse explique aussi pourquoi le marché financier est en mesure, après une « plongée », de très rapidement se reconstituer.


Relation entre ces deux économies

Pour autant, ces deux économies ont besoin l’une de l’autre pour exister. L’argent de l’économie financière peut être recyclé dans le réel. L’économie financière peut ainsi « booster » l’économie réelle.

A l’inverse, l’économie financière trouve sa base de valorisation dans l’économie réelle. C’est la performance de l’entreprise dans le monde réel qui influence la valeur de ses titres sur les marchés financiers !

Il ne faut pas que l’économie réelle devienne le sous-traitant de l’économie financière. Si la méta-économie financière venait à se déconnecter du réel par sa tendance à 

l’infinitisation, alors il n’y aurait plus de recyclage possible dans le réel et une crise financière non contrôlable se déclencherait.

 

Logique de convergence

Tout système comporte une logique de convergence (aussi appelée logique axiale). La logique de convergence du capitalisme est la rentabilité du capital engagé. Actuellement, il y a une tendance à tout réorienter pour accroître la performance ainsi définie. Il y a un risque de rupture si on devient trop performant. « Je meurs en trop bonne santé financière ! »


Nécessité d’une auto - régulation interne

Pour cela, il faut faire intervenir les sciences humaines en amont du système.

Il faut définir des finalités non financières.

L’économie financière n’a pas de sens. Elle doit se donner du sens.

Il faut mettre l’accent sur le management des hommes.

C’est d’autant plus important que la Net Economie utilise les mêmes approches virtuelles que celles de l’économie financière.

Les gens vivent mal cette forme de société dépourvue de sens et liée à la notion de pouvoir.


2 – L’émergence des modèles épistémologiques


Dans cette partie, Serge présente une réflexion sur les facteurs de réussite dans l’évolution des civilisations.

C’est, selon lui, l’articulation entre la sphère culturelle, qu’il appelle sphère essentielle (E), et le système fonctionnel (F) qui conditionne la réussite d’une civilisation à un moment donné de son évolution.

La sphère essentielle s’apparente au système de croyances, de représentations, de valeurs. Le système fonctionnel c’est ce qui transforme le réel. Les modèles épistémologiques dépendent de la manière dont ces éléments sont combinés entre eux.

Serge présente trois modèles.


Le modèle hybride

C’est celui, mis en œuvre par le Japon, qui a réussi un passage sans transition du féodal à la modernité. Dans ce modèle hybride, la sphère essentielle (E)  et le système fonctionnel (F) sont déconnectés. Le Japon est resté japonais dans la sphère essentielle et a importé toute l’approche technologique occidentale, ce qui lui a permis de repartir après la 2ème guerre mondiale et de se développer d’une façon remarquable. Le génie japonais a été d’avoir recours à cette dissociation.


La Chine est un autre exemple de l’application du modèle hybride. La Chine est passée  par trois phases. Une première phase, dynastique, au cours de laquelle la Chine a considéré son « essence » comme très importante, ce qui l’amène à sous-estimer la nécessité d’un système fonctionnel. La Chine reste alors très sous-developpée. Dans une deuxième phase, Mao fait basculer la Chine vers l’autre 

car il a associé à ce basculement la révolution culturelle. La Chine, qui se caractérise par une pensée confucéenne, accueille mal la culture marxiste. Dans une troisième phase, Deng Xiaoping dissocie la fonctionnalité de l’essence et en arrive à une solution « à la japonaise ». Ceci étant, comme la Chine est hétérogène et indisciplinée, il faut une approche coercitive pour maintenir la cohésion.

C’est le rôle du pari communiste.


Modèle isomorphe

Les USA en sont le meilleur exemple. L’essence (E) et la fonctionnalité (F) sont associées avec une dominance de la sphère essentielle. Aux USA la base du modèle est la logique d’entrepreneurs, initiée par les colons. La clé du système est l’économie, avec une mise en valeur des ressources. Dans cette optique, les Indiens sont considérés comme faisant partie de la Nature et ne sont pas vus comme de vrais êtres humains !

Dans ce modèle, la place sociale de l’individu est fonction de l’argent qu’il gagne. Et le fait de gagner de l’argent est vu comme le fruit d’un travail et de capacités à créer de la valeur.

La force des Américains réside dans l’action et dans le mangement. Dans un monde complexe, il est préférable d’agir, et de ne pas trop penser. Les américains sont « câblés » pour prendre des décisions.


Modèle isomorphe inversé

C’est le cas de la Russie avec l’application de son système soviétique. La fonctionnalité est au cœur du modèle et elle est déduite du système idéologique, ce qui interdit l’importation d’une autre fonctionnalité.

 

 

 

Modèle mixte

Le modèle Européen est un modèle mixte avec une dose d’isomorphisme et une part d’hybridation. Le point de départ de sa sphère essentielle est l’Italie, avec la forte influence que le Quattrocento a eue jusqu’au 18ème siècle sur la modernité, est l’humanisme.


3 – Universalisation de la conscience


Dans cette troisième partie, Serge explique que jusqu’au 21ème siècle, la conscience collective avait une dimension historique, fondée sur un monde divisé et donc sur nos différences.

Le 21ème siècle voit arriver une autre forme de conscience, la conscience anhistorique, intégrant une nouvelle dimension, planétaire et globale, reflétant l’indivisibilité de l’Homme et du monde et mettant au deuxième plan ses différences.

Ici, l’Homme est renvoyé à son appartenance en tant qu’Espèce. Il se pense en entité humaine. C’est un changement radical. Dans cette représentation, pour être à l’aise, l’Homme doit être en adéquation avec son Ecosystème.


Décalage entre Economie et Ecosystème

La civilisation vue comme système comporte trois « sous-systèmes » : l’économie, la politique, la culture. L’économie peut se décrire comme le mode de production de la valeur, la politique, comme le mode de production du pouvoir et la culture, comme le mode de production de l’identité.

La conscience anhistorique met l’Homme face à un sentiment de décalage croissant dans un monde où l’économie est illimitée et l’écosystème est limité. C’est la base de la représentation écologique qui est aujourd’hui devenue dominante.


Comment réintroduire une cohérence ?

La clé pour réintroduire une cohérence entre économie et écosystème est de repenser la notion même de valeur. Il faut penser à une approche de valorisation qui se déconnecte du système productif. Il faut raisonner moins en terme de produit et plus en terme de solution apportée. Lorsqu’on pense « produit », on raisonne le plus souvent à la manière classique d’arriver à la valeur, à savoir : le coût du travail + le coût de la matière + une marge (calculée) = le prix.

Lorsqu’on pense « solution », c’est en termes d’idées et d’innovation que l’on raisonne. On peut accroître la valeur sans accroissement proportionnel d’utilisation de ressources. Il n’y a plus d’opposition avec l’écosystème. C’est la caractéristique de l’approche que les américains appellent « servicization » et c’est proche de ce que nous avons appelé « économie de la fonctionnalité ».


Evolution de la politique

La politique, rappelons-le, est la production du pouvoir. Il faut aller vers une mondialisation de la politique. Les problèmes ne peuvent plus se résoudre au niveau de l’Etat nation. Le G20 est un premier pas en direction d’une politique mondialisée.

Comment faut-il adapter la démocratie à cette nouvelle exigence ? La démocratie doit en effet être préservée. C’est la seule approche permettant de transformer l’intérêt particulier en intérêt général.

La démocratie, dans sa version actuelle, a comme légitimité le peuple, qui ramène au niveau Etat nation. Comment alors évoluer vers une démocratie cosmopolitique ? Il faut remplacer le Peuple par l’Etre Humain qui est l’essence de l’Humanité. L’essence humaine remplace le peuple dans une démocratie cosmopolitique. L’Homme prendra ainsi conscience de sa solidarité mondiale. Il faut aller vers un humanisme politique !

L’Europe est de ce point de vue dans une position intéressante qui peut lui permettre de jouer le rôle de laboratoire.


Culture et Politique

La culture c’est la production de l’identité. La culture n’est pas modélisable. J’existe par différence à l’autre.

Notre culture doit être le support de l’homme universel. La culture va prendre le dessus dans notre système de civilisation.

La France est bien « placée ». Elle a une culture universaliste (les droits de l’homme).

La politique, elle, devra se cantonner à un rôle minimum (collectivités locales essentiellement). Ceci devrait ouvrir un espace dans lequel la culture pourra s’épanouir : art, spiritualité, innovation.