DEVELOPPER SES CAPACITES D’INNOVATION :

ENJEU VITAL POUR L’ENTREPRISE

Les conseils aux entreprises de Brice Auckenthaler, interviewé par Manfred Mack

 

Brice Auckenthaler a une formation de MSG Dauphine. Il a passé 20 ans à l’étranger, débuté sa carrière dans la communication (Ogilvy, Saatchi…), créé en 1993 le cabinet de conseil en innovation Expertsconsulting, puis en 2011 Tilt Ideas en association avec le groupe Kea & Partners. Auteur de plusieurs ouvrages sur l’innovation et la marque, il enseigne l’innovation au MBA Celsa Sorbonne.

Manfred Mack, suisse – américain basé à Paris, conseiller en entreprise dans les nouveaux modes de management. Auteur de plusieurs ouvrages, il est par ailleurs animateur du groupe de réflexion « Entreprise & Avenir » qui s’efforce d’imaginer une nouvelle logique pour l’entreprise du 21ème siècle.

Les conseils qui ressortent de cet échange sont de nature à largement inspirer celles et ceux qui s’intéressent à l’innovation dans l’entreprise.

 

« Philosophie » du métier

Manfred Mack : Pourriez-vous commencer par raconter votre « philosophie » par rapport au métier que vous exercez ?

Brice Auckenthaler :

J’ai été longtemps en Asie et cela m’a conduit à apprécier l’importance du silence. Dans le travail que nous faisons, nous visons des « transformations silencieuses » de l’individu, du collectif et de l’entreprise. L’innovation est pour nous un mode de management. Il ne faut surtout pas que ça soit un « gadget du Président ».

 

Pourquoi je fais ce métier ? Une des raisons est que l’innovation est un des rares métiers qui embarque potentiellement toute l’entreprise, à tous les niveaux, pour que l’ensemble des acteurs contribue à son développement. Siemens le dit très bien : « Une personne inspirée c’est bien. Mais lorsqu’il s’agit de 420.000 personnes (inspirées), ça change le monde ».

 

La première question à poser est celle de la mission de l’entreprise, sa différence, son « combat » sur terre. Elle permet à tous de s’identifier à son devenir. C’est ainsi que l’on fait de la conduite du changement, sans le dire.

 

Organisation et façons de travailler

MM : Comment êtes-vous organisé et de quelle façon travaillez-vous dans vos interventions auprès des entreprises ?

BA : J’ai créé Tilt Ideas en y associant le groupe de consultants Kea & Partners qui détient 30% du capital. Le cabinet Tilt Ideas emploie 5 professionnels en interne et fait appel à un réseau de 15 experts extérieurs sur des sujets spécifiques, ainsi qu’un réseau international de correspondants.

On commence par s’intéresser aux règles qui sont à l’œuvre dans le marché et que l’on a tendance à reproduire. Il faut identifier ces règles, puis s’interroger sur leur validité actuelle. Quelles règles sont devenues obsolètes ? Quelles sont celles qu’il faut conserver ? Chez l’un de nos clients (Grand Optical), on a analysé les règles du marché et celles qui étaient dans la tête des responsables.

 

A Tilt Ideas, on s’interdit d’avoir des idées à la place des autres. Par contre, on croit beaucoup aux démarches qui permettent de coproduire. La coproduction donne lieu à l’appropriation. Les gens se sentent co-auteurs de l’innovation.

 

Notre logo : « l’interrobang » combine deux signes : ? et ! Cela symbolise la réunion duquestionnement et de l’aboutissement souhaité qui doit être l’étonnement (wow !). 

 

Nous nous considérons comme des catalyseurs. Tout en amenant les gens à se transformer, il faut en même temps donner (ou redonner) confiance. La confiance est à la base d’une dynamique de développement.

 

Travail avec des Marques

MM : Pouvez-vous donner des exemples d’interventions qui illustrent la nature de vos apports ?

BA : Voici deux illustrations :

Un exemple a été le repositionnement des marques de SEB. C’est à l’origine un groupe industriel. Les marques sont une étape récente. Dans ce travail, Tilt a vu la nécessité de rendre les produits plus reconnaissables et donc de s’interroger sur ce qui différencie les marques du groupe (par exemple Calor).

 

Un autre exemple est celui de Keystone Foods, une entreprise américaine de logistique qui est fournisseur de McDonald. L’entreprise a récemment été rachetée par un groupe brésilien qui s’est donné comme objectif de « réinventer » cette dernière.

 

Importance de « l’histoire que l’on raconte »

MM : On imagine qu’il peut être important d’associer les collaborateurs de l’entreprise à la démarche d’innovation…

BA : Chaque entreprise doit créer son « histoire ». Les collaborateurs doivent être à même de « raconter l’histoire » de leur entreprise, devenant de ce fait des « ambassadeurs » de la marque. La communication part ainsi de l’intérieur.

Cette capacité de « raconter » est particulièrement importante en ces temps de crise, qui sont une période de défiance. On a tendance à vouloir se confier à ses proches, à ses amis.

Parce que, souvent, ce sont les hommes et les femmes de l’entreprise qui en sont le maillon faible, il est important de les impliquer dans le diagnostic de leur entreprise. Ainsi, on analyse avec eux les succès et les échecs parmi leurs marques. Tout le monde est impliqué.

 

Besoin d’Utopie

MM : Il faut vraisemblablement en arriver à créer une vision globale de l’entreprise qui agit comme vecteur de l’innovation ?

BA : Nous pensons que dans le prolongement de l’histoire de l’entreprise, c'est-à-dire dans la vision que l’on se donne, il faut qu’il y ait de l’utopie.

Utopie signifie « pas encore réalisé » (et non irréalisable…). L’Utopie est l’art de se donner un « nouveau futur ».

Cette dimension a fait partie d’une réflexion avec l’un des clients de Tilt Ideas : Arcade, un important bailleur social. Il s’agissait d’amener l’entreprise à pousser plus loin sa réflexion sur la notion de « social ». C’est quoi le « social » pour nous ?

En développant la notion d’Utopie, on introduit une dimension émotionnelle dans la dynamique de l’entreprise, dans l’acte d’achat notamment.

 

Alimenter les conversations

MM : Y a-t-il, selon vous, intérêt à associer au processus d’innovation des « partenaires extérieurs » ?

BA : La manière dont se propage un processus d’innovation doit alimenter lesconversations dans et à l’extérieur de l’entreprise.

C’est un peu le principe qui a été mis en œuvre par Tilt Ideas auprès de la MAAF où l’on a invité les sociétaires à venir se plaindre de ce qui, à leurs yeux, n’était pas satisfaisant...mais en les obligeant à proposer eux-mêmes les solutions à leur plainte. L’Internet se prête bien à ce type de démarche interactive.

Néanmoins, les échanges par Internet ne suffisent pas (échanges « froids »). Il faut aussi des contacts en face à face, transpirer ensemble en réunion (échanges « chauds »).

En résumé, l’innovation est avant tout une POSTURE, un état d’esprit. Une partie des formations pilotées par Tilt Ideas cherche à inculquer cet état d’esprit.

 

Les principes mis en œuvre 

MM : Pour conclure, pouvez-vous décrire une sorte de « condensé » des principes qui s’appliquent dans toute démarche d’innovation ?

BA : Voici les principes qui me viennent à l’esprit :

Ne pas aller trop vite à l’action. Créer d’abord le bon état d’esprit.

 

Oser remettre en question (« challenger ») tout ce qui existe, y compris les soi- disant « besoins » des consommateurs.

 

Faire en sorte que ce qui est proposé soit relié à l’ADN de l’entreprise. Identifier le « clou » auquel on peut suspendre la nouvelle approche.

 

Passer le temps nécessaire à identifier et à comprendre le problème. La solution est souvent « dans » le problème (exemple de Dyson qui a supprimé le sac à poussière, identifié comme le problème majeur des aspirateurs classiques). Dyson illustre un autre principe vertueux – celui de la simplification.

 

Prêter attention au « casting », c'est-à-dire au choix des personnes conviées aux ateliers consacrés à l’innovation.

 

Le « nouveau » doit, si possible, produire l’étonnement (enfin du nouveau !).

 

Ne pas hésiter à faire du copié/collé intelligent. Comment ferais-je pour transposer cette idée à mon business ?

 

MM : Merci, Brice pour cet échange !

                                                                                    Le 13 Avril 2012